1975 – Paris

À dix ans, je suis hospitalisée en urgence pour une appendicite aiguë. L’opération se déroule bien, si bien que le lendemain, mon compagnon de chambre et moi faisons un concours de saut sur nos lits pour voir qui sauterait le plus haut. Une insouciance totale, presque comique. À cet âge-là, on ne pense pas aux conséquences. Deux nuits plus tard, je suis tirée de mon sommeil par des pleurs venant du couloir. Curieuse et légèrement inquiète, je me lève. En ouvrant la porte de ma chambre, je découvre une petite fille d’environ quatre ans. Elle est seule, visiblement terrorisée. Elle porte une longue chemise de nuit blanche, translucide (un détail étrange pour une enfant si jeune). Je reste figée un instant, stupéfaite qu’aucun adulte ne soit là pour l’aider. Puis, doucement, je m’approche et m’accroupis à sa hauteur. « Ne bouge pas, lui dis-je, je vais chercher une infirmière, n’aie pas peur. » Je tentais de la rassurer du mieux que je pouvais avec mes mots d’enfant. Sans plus attendre, je m’élance dans le couloir et fonce vers le poste des infirmières. Mais à mon grand étonnement, il n’y a personne. Pas d’âme qui vive. Le silence est lourd. Quelque chose cloche.

Pour ne pas perdre de temps, je cours en direction de l’ascenseur et descends à l’étage inférieur. Mais là encore, personne. L’hôpital semblait figé, comme abandonné. Je pensais à cette petite fille, seule, effrayée, qui m’attendait là-haut. Il fallait absolument que je trouve de l’aide. Je redescends d’un étage, mais toujours rien. Le silence devient oppressant, presque surnaturel. L’ambiance est glaciale et les couloirs baignent dans une lumière blafarde.

Puis sans comprendre comment, me voilà soudain propulsée dans une salle d’opération. Je suis là, figée, debout, tandis que des chirurgiens s’affairent autour d’un patient endormi sur la table. L’un d’eux, au regard dur, s’avance vers moi. Sèchement, il me dit : « Qu’est-ce que tu fais ici ? » Sors immédiatement ! » Paniquée, le cœur battant, je fais demi-tour et cours jusqu’à l’ascenseur, déterminée à retourner près de la petite. De retour à l’étage, je croise enfin une infirmière, mais la fillette n’est plus là. Soulagée, je commence à lui parler de la petite et, sans avoir eu le temps de dire trois mots, elle me coupe la parole : « D’où viens-tu ? » « Que fais-tu seule à traîner dans les couloirs ? » me dit-elle d’un ton sévère. Je tente de nouveau de lui expliquer, mais avant même de finir ma phrase, et de nouveau, elle me coupe la parole : « Tu racontes des histoires ! » Il n’y a jamais eu de petites filles ici. Va te recoucher, et vite ! » À dix ans, habituée à ne pas répondre aux adultes, baissant la tête, je retournai dans ma chambre, la gorge nouée. Je finis par m’endormir.

Le lendemain matin, avec prudence, j’essaie d’obtenir des informations auprès des infirmières de jour et, à ma grande surprise, aucune petite fille de cet âge n’avait été hospitalisée ces derniers jours, ni à l’étage, ni aux étages inférieurs. Alors ! Qui était-elle ? Sa tenue inhabituelle, son état, l’absence totale du personnel, une atmosphère glaciale. Comment ai-je pu me retrouver au bloc opératoire sans comprendre comment j’y étais entrée ? Ce basculement étrange m’avait-elle propulsé dans une autre dimension ? Je sais aujourd’hui que c’était un fantôme qui errait dans cet hôpital. Tout comme dans les prisons, les maisons abandonnées ou les châteaux, ces lieux portent en eux les empreintes de la souffrance, de la maladie et de la mort.


Gabriela d’Asti