Parfois, les évènements se préparent des années à l’avance.

1980, J’ai 15 ans et mon p’tit copain de l’époque s’appelait Patrick. Nous nous connaissions depuis la maternelle, mais notre histoire a commencé en primaire. Le bâtiment était divisé en deux parties, lui était dans l’école des filles et moi des garçons. Où est la logique, vous me direz. Pendant un an, en quittant la classe, Patrick se trouvait toujours devant l’école. Il m’attendait, me fixait d’un regard que je n’oublierai jamais sans oser venir me parler. Du jour au lendemain, il disparut. Ce n’est que des années plus tard que j’apprenais qu’il était parti dans une école privée, jusqu’au jour où nous nous retrouvons dans le collège et de surcroît dans la même classe. Non ! Le revoilà ! La donne avait changé, il était grand, beau et plus communicatif. Je l’ai reconnu tout de suite parce qu’il avait une particularité sur une joue. Qu’allait-il faire cette fois-ci ? À la différence de mes 8 ou 9 ans, c’est que je n’avais plus peur de lui. Au lieu de le fuir, nous nous rapprochions.

Nos rapports devenaient de plus en plus conflictuels à cause de sa jalousie, nous nous disputions régulièrement. J’en ai eu marre et un matin, après une énième dispute, je mets fin à cette relation. Sa seule et unique réaction a été : « Je ne serai pas à l’école cet après-midi. » Toute la matinée et jusqu’en début d’après-midi, je cogitai, j’avais un mauvais pressentiment. Je mettais cela sur le compte de notre séparation. Il disait vrai, il était absent du cours. Sentant un danger et désirant le rejoindre chez lui, comment pouvais-je m’y rendre ? Quand me vient une idée. Je raconte une salade au prof lui prétextant que je voulais aller aux toilettes. Ni une, ni deux, je cours dans l’escalier et c’est à cet endroit même que je le vois titubant, comme saoul et tomber inconscient à mes pieds. Quelle merde ! Je retourne en courant dans la classe pour prévenir le prof et la directrice appela les pompiers. Quelques minutes de plus, il tombait dans le coma. Il avait fait une tentative de suicide et avait ingurgité une boîte de comprimés que sa mère prenait pour des problèmes cardiaques. Depuis la primaire, je ressentais la mort à son contact. Difficile à expliquer avec des mots. Il était intelligent, de nature mélancolique et taciturne. Son frère Michel qu’il n’a jamais connu pour être né avant lui, décède à la naissance. C’est sans doute cet évènement qu’il le rendait triste. Doué pour les arts, il m’avait dessiné trois dessins. L’un représentant une guillotine, l’autre un fusil et une main tenant un oiseau. Je ne m’en suis jamais séparée. Était-ce prémonitoire ? Oui. Nous ressortons ensemble.

L’année suivante, il quitta le collège pour une autre école. Nous nous perdons de vue, pourtant il vivait à deux pas de chez moi. Ce n’est qu’à nos 18 ans que nous nous retrouvons. J’étais en voiture et au lieu de prendre la même route que d’ordinaire, je décide de prendre un autre chemin. Qui était sur le trottoir ? Lui. « Content de te revoir, me dit-il. » Ce soir, je fête mon départ avec des copains parce que demain matin, Jean-Luc et moi quittons la région pour vivre à Limoges. Viens nous rejoindre. » Chouette, je viendrai, lui répondis-je. Vivant encore chez mes parents et même avec mon permis en poche, je n’étais pas libre. La réponse de mon père était brève et catégorique : « Non, tu n’iras pas. » Il est vrai que trois ans en arrière, nous avions fugué pour nous retrouver après une autre dispute, non pas pour quitter notre domicile définitivement, mais pour nous réconcilier. Je comprenais la peur de mon père, mais ma colère envers lui a duré quelques mois, n’ayant pas pu lui dire au revoir pour ne pas dire adieu.

De 1983, date où il quitta la région à 2008, systématiquement, lorsque j’avais un problème, je rêvais de lui et dans les 48 h, je trouvais une solution. Le rapport ? Ces rêves, plutôt ses cauchemars, étaient toujours les mêmes. Je me trouve dans une pièce sombre, lui et sa femme se droguaient pour mourir d’une grave maladie. Était-il marié ? Je l’ignorais.

Pendant toutes ces années, j’ai fait des recherches dans les annuaires, sur les réseaux sociaux. J’appelais des personnes portant son nom, sans aucun résultat. En 2007, dans un centre commercial, je retrouve Josée, une camarade de classe qui faisait partie de notre petit groupe de l’époque. Elle avait revu Patrick et n’ayant plus de ses nouvelles, elle me donna les coordonnées de Jean-Luc.

Je gardais précieusement son téléphone en pensant le contacter un de ces quatre mais je procrastinais. L’année suivante, je renouvelle mes recherches et c’est le choc : Patrick Untel, né le …, est décédé le 5 janvier 2008 à Limoge. Mon sang n’a fait qu’un tour. Pompier volontaire, c’est en lisant le journal local que j’ai appris la nouvelle. Immédiatement, j’appelle la mairie de la commune afin de savoir où il était enterré, mais personne n’a voulu me répondre. Le lendemain, je pris mon courage à deux mains pour téléphoner à Jean-Luc qui se souvenait de moi et voilà ce qu’il me confia. Patrick était marié, avait deux enfants, une fille dont je ne me souviens plus du prénom et un garçon appelé Michel, un rappel de son petit frère. Ils se droguaient, buvaient et le couple battait de l’aile. Sa femme meurt un an avant lui d’un cancer, quant à Patrick, on a dû lui amputer une jambe causée par la même maladie. Ses révélations étaient identiques à mes rêves.

Depuis cette date, je n’ai plus jamais rêvé de lui jusqu’à ce jour. Mystère.


Gabriela d’Asti